Imagerie de l’héritière – Marie Hélène Allain

Imagerie de l’héritière, est une seule sculpture qui occupe une salle entière.

En l’an 2000, j’exposais dans cette même salle du Musée du Nouveau-Brunswick, Une pierre pour toi / A Stone for You, un projet qui comprenait seize œuvres individuelles; sept de ces sculptures se présentaient déjà comme de petites installations. Mais j’avoue que la réalisation d’expositions installations n’était pas dans ma pensée à ce moment -là.

L’installation convient bien à un fonctionnement plutôt lent et rêveur. Elle a pour avantage de laisser l’artiste ruminer, approfondir, développer et transformer son thème, tout en se transformant lui-même en cours de processus.

Mon parcours artistique montre qu’en 1983 je réalisais ma première œuvre monumentale, Ocean Bone / Œuvre d’océan, située dans le lobby du Centre des Congrès du Market Square. J’avoue que j’aspirais depuis un certain temps à sculpter un bloc de pierre qui m’offrirait suffisamment d’espace pour enfin dire ce que j’avais à dire, même si je ne savais pas tellement «ce que j’avais à dire»… C’est pendant cette période des sculptures monumentales que de petites œuvres assemblées se sont manifestées. Celles-ci ont alors exigé une nouvelle lecture; elles trouvaient maintenant leur sens dans le rapport établi entre les divers matériaux assemblés ou juxtaposés. Les assemblages sont petit à petit devenus des installations, comme les monolithes sont devenus des œuvres monumentales. Que peut-il arriver après l’installation…

En 2004, j’avais écrit au sujet de ma première installation Secrets de varnes/ Secrets of Alder : « (…), je pense avoir exprimé de quelque façon, un brin de l’héritage.» Je m’interrogeais alors, sur les forces de nos ancêtres acadiens, qui les avaient amenés à se rebâtir comme peuple.

En 2008, avec l’installation Oser l’aventure de la création – Inutile gratuité et Secrets d’une passion, je m’interrogeais sur la passion qui nourrit un artiste entièrement dédié à sa carrière et sur la fécondité de son art. L’installation présente, Imagerie de l’héritière, bifurque sur la force des liens entre générations et sur la fécondité de cette force qu’est l’héritage. L’humain, l’être insatisfait et conscient que nous sommes, cherche à explorer, à connaître, à reconnaître, à transposer pour inventer une vie nouvelle. Le retour aux racines, typique chez les Acadiens, s’avère un tremplin solide pour se projeter dans le futur.

Depuis le début de ma carrière, je suis envahie par le constat d’une force qui habite les êtres vivants. J’ose affirmer que la source de mon inspiration provient d’expériences marquantes de cette force de vie; j’en ai pris conscience, elles ont mûri au point d’éclater en œuvres d’art. Une œuvre terminée m’apparaît comme l’image d’un rêve, aujourd’hui je dirais plutôt une imagerie, dont l’interprétation se trouve en partie connue et en partie à reconnaître.

Nous sommes tous issus du roc, et chacun contribue à se libérer de cette matière en la transformant à sa manière. Pour la sculpteure que je suis, la pierre dure à traverser est peut-être la conquête obligatoire pour rendre visible ce qui s’impose en dedans. Témoin fidèle de tous les combats, la pierre est au service de ce que j’ai à dire; qu’il s’agisse de sa densité, de sa texture, de sa forme, de sa couleur, elle devient une métaphore importante pour renforcer les propos du thème choisi, et ce, peut-être davantage dans Imagerie de l’héritière.

Quoiqu’en apparence mes œuvres actuelles soient très différentes des premières, il est évident qu’une trame s’est maintenue depuis les débuts de ma carrière; il s’agit de l’exploration de la force de vie, cette force qui provoque les êtres vivants que nous sommes, cette force qui nous dépasse et qui nous amène à nous dépasser. Les forces communes d’un peuple, les forces d’une passion et les forces de l’héritage humain n’en font pas exception.

 

Marie Hélène Allain
Texte publié en 2016 dans le catalogue de l’exposition Imagerie de l’héritière
Présenté par le Musée du Nouveau‑Brunswick

error: Contenu protégé !!